Chaque jour, El País, El Mundo et autres journaux parmi les plus vendus
en Espagne
publient des centaines d'annonces de prostituées.
Un filon de 40 millions d'euros par an qui a suscité un rare et unanime élan
indigné chez les politiques espagnols.
Oubliées les barrières idéologiques d'ordinaire si tranchées
en Espagne.
Du progressiste El País jusqu'au monarchiste et plus que centenaire ABC,
en passant par les deux grands quotidiens catalans La Vanguardia et El Periódico,
personne n'hésite à publier plusieurs pages par jour de petites annonces salées
facturées en moyenne 100 euros chacune.
La manne est précieuse pour la presse espagnole qui subit de plein
fouet
la crise économique et l'assèchement des revenus publicitaires
:
Jusqu'à cinq ou six millions d'euros annuels pour les journaux les
plus diffusés,
selon les calculs du secteur. Mais se faire de l'argent
sur la prostitution,
n'est-ce pas délicat ?
« Certains journaux flirtent avec le proxénétisme »
«
Certains journaux flirtent avec le proxénétisme »,
accuse
le quotidien gratuit 20 Minutos qui a abandonné en 2007
la publication
de ces petites annonces après sept ans d'affichage.
D'autres sont plus directs. « Un proxénétisme de papier » « répugnant »,
scande le journal proche de la droite dure La Gaceta qui, lui, a délaissé Katia,
Sonia et les autres
Catholique, antiavortement et conservateur,
La Razón mène aussi
une stridente campagne pour leur interdiction.
« La Razón a inclus plusieurs pages d'annonces de contacts sexuels
depuis sa création en 1998 jusqu'en décembre de l'année
dernière.
Que s'est-il passé à cette date ?
Le groupe éditeur de
la Razón, Planeta,
a passé un accord avec le Vatican pour distribuer
le journal officiel du Saint-Siège,
L'Osservatore Romano », ironise
Público.
Ce quotidien de gauche se targue lui d'avoir choisi dès son lancement
en 2007
de ne pas publier d'annonces « Relax ».
Un choix qui coïncide
avec les débuts de la sensibilisation du gouvernement
Le Premier ministre socialiste, José Luis Rodriguez Zapatero, a ainsi
dénoncé,
lors de l'important débat sur l'état de
la nation en juillet :
« Tant que les annonces de contacts continueront d'exister,
elles contribueront à la
normalisation de cette activité. »
« Nous avons misé sur l'autorégulation des journaux »
La prostitution n'est pas interdite en Espagne.
Il existe même de nombreux « lupanars » concentrés
autour des autoroutes
et près de la frontière avec la France.
Mais elle évolue dans un certain vide juridique :
les prostituées
ne peuvent pas cotiser à la Sécurité sociale
et ne payent
pas d'impôts.
Le proxénétisme, la traite des humains et
la représentation « avilissante »
des femmes sont des actes
illégaux.
« Nous avons misé sur l'autorégulation des journaux mais
cela n'a pas fonctionné »,
s'est lamenté la ministre de
l'Egalité Bibiana Aído.
Un constat d'échec qui a poussé les députés de
tous bords à demander en bloc,
ce mardi 21 septembre, au gouvernement
de « promouvoir »
plus fermement et rapidement leur interdiction.
Une commission planche en ce moment pour donner au gouvernement
les
armes juridiques qui lui permettront peut-être d'interdire ces
annonces.
El Mundo : « Nous ne sommes pas la police »
En attendant, les journaux se défendent.
Le célèbre
directeur dénonce publiquement l'hypocrisie de
ses détracteurs :
L'accusation de proxénétisme fait, quant à elle, bondir
le directeur de communication d'El País
« C'est une accusation absurde.
El País publie chaque jour des centaines d'annonces de tous types
et cela ne veut pas dire que nous avons une relation avec les activités qui s'annoncent. »
Le journal « respecte la loi », poursuit-il.
« El País est contre la traite des femmes et l'exploitation sexuelle
mais nous savons également que des hommes et des femmes exercent la prostitution librement.
Cela peut plaire ou non. Mais en aucun cas notre devoir est de faire la morale. »
Un collectif de prostituées : « Arrêtons le prêchi-prêcha »
L'argumentaire du directeur de communication d'El País trouve un écho
chez le collectif de prostituées Hetaira :
« De nombreuses clientes qui ne veulent pas travailler dans la rue décident
de s'annoncer dans la presse ou sur Internet pour trouver des clients »,
affirment ses responsables.
« Si la prostitution volontaire (échange de services sexuels
contre de l'argent entre des adultes consentants) n'est pas un délit,
sa publicité n'a pas non plus raison de l'être. »
Problème. En juillet, un réseau qui exploitait 350 femmes a été démantelé.
Ses dirigeants pêchaient des clients dans la presse.
La nouvelle a secoué les arguments des ceux qui défendent les
annonces.
Pedro Zuazua le reconnaît :
« C'est un débat qui a pris de la force. Le panorama peut peut-être changer. »